Adapter l’économie française au nouveau modèle de l’immatériel


Devenir une référence de l’économie de l’immatériel, tel devrait être notre objectif des 10 prochaines années. Notre pays a en a les moyens. Les talents ne lui manquent pas pour s’imposer parmi les premiers producteurs de la matière première désormais essentielle, les idées. Mais nous n’y parviendrons pas spontanément. Trop d’obstacles pénalisent aujourd’hui l’expression de notre créativité et de notre inventivité pour considérer que nous sommes d’ores et déjà préparés à un modèle de croissance en profonde évolution. Les prochaines années seront à cet égard essentielles. Dans bien des domaines, en particulier en matière sociale, d’éducation, de recherche et de fiscalité, la plupart des économies développées engagent des réformes pour faire le saut de l’économie de l’immatériel. C’est aujourd’hui que se jouent notre avance ou notre retard futurs. C’est en prenant conscience de nos faiblesses mais aussi de nos singularités et de nos forces que nous nous donnerons les moyens de faire de l’immatériel un puissant accélérateur de croissance. Nous adapter à l’économie de l’immatériel nécessite de procéder collectivement à trois changements. D’abord dans notre manière de penser. À partir du moment où les actifs immatériels deviennent désormais essentiels pour notre croissance, nous devons chercher à renforcer leur place, tant dans les entreprises que dans la sphère publique. Dans le secteur privé, l’innovation, les idées, la créativité, bref tout ce qui permet l’accumulation d’actifs immatériels, naissent plus facilement dans un contexte concurrentiel, favorable aux nouvelles entreprises. Or nous pérennisons au contraire en France des situations de rente, qui freinent l’incitation des entreprises à se différencier par leurs actifs immatériels. Dans le secteur public, nous jugeons la qualité de la gestion de l’État uniquement à travers ses actifs matériels, en particulier son patrimoine immobilier. Les actifs immatériels sont les grands oubliés de la gestion publique, alors même qu’ils constituent une source importante de revenus publics, mais surtout d’efficacité économique. Ensuite dans notre manière d’appréhender les problèmes. Nous avons généralement tendance à considérer que si un problème se pose en France, il doit avoir sa réponse en France. Cette vision est parfois juste mais souvent excessivement nationale. À bien des égards, la recherche d’efficacité de l’action publique doit nous conduire à accepter l’idée que l’échelle pertinente pour répondre aux questions économiques et sociales n’est plus seulement la France, mais l’Europe. Notre position dans l’économie de l’immatériel dépendra à cet égard, sur plusieurs points, de notre capacité à faire bouger nos partenaires et à nous imposer comme une force de propositions en Europe et un moteur de la construction européenne. Enfin dans notre manière de concevoir nos grandes politiques publiques. Nous vivons avec le sentiment que nous devons avoir notre propre modèle dans tous les domaines, qu’à côté de ceux que font nos partenaires, il y a toujours la place pour une 3e voie, celle de la France. Cette attitude freine notre capacité à nous inspirer de ce qui marche ailleurs, en particulier en matière sociale, d’enseignement, de recherche et de fiscalité, pour nous adapter aux exigences de l’immatériel. Acceptons l’idée que ce qui est original n’est pas nécessairement meilleur, que ce qui est fait à l’étranger n’est pas nécessairement moins bien, que l’on peut changer nos approches sans nous dénaturer, et même, paradoxalement, en nous renforçant. En changeant nos réflexes, en changeant d’échelle, en changeant de modèle, nous nous donnerons les moyens de mieux mobiliser nos talents. Mais cela ne suffira pas pour que notre économie se positionne comme l’une des premières de l’immatériel. Car l’enjeu de cette économie, c’est tout autant de savoir valoriser ses talents que de parvenir à attirer ceux des autres pays, en s’imposant comme une plate-forme de création et d’innovation, capable d’attirer les hommes, mais aussi les capitaux. Nous ne mesurons pas en France à quel point l’image que nous renvoyons est déterminante pour capter une partie des idées et des financements mondiaux. La « marque France » n’a peut-être pas de réalité comptable. Elle a en revanche une véritable réalité économique. Or, notre « marque France » souffre aujourd’hui de plusieurs faiblesses. Pour le dire autrement, nous n’avons pas un « capital marque » aussi riche et solide que le méritent notre histoire et nos talents. D’une part, parce que nous ne renvoyons pas suffisamment l’image d’un pays innovant et à la pointe en matière technologique. D’autre part, parce que nous mettons à l’excès en avant des particularismes qui peuvent être jugés négativement à l’étranger. Ceci est d’autant plus regrettable que ces particularités astucieusement mises en valeur peuvent à l’avenir constituer notre force principale. Enfin parce que nous ne prêtons pas suffisamment attention aux classements mondiaux qui, quelles que soient leurs limites, influencent néanmoins notre image à l’étranger.